Poète et critique d’art provençal, Joachim Gasquet (1873 – 1921) est le créateur de revues littéraires comme La Syrinx (1892) ou Les Mois dorés (1896 – 1898). Il est connu pour avoir écrit sur les peintres de son époque.Il avait une fascination pour Paul Cézanne , ami de son père Henri Gasquet. Il a eu accès à l’atelier du Maître et l’a suivi dans ses visites au Musée du Louvre. En 1921, quinze années après la mort de Paul Cézanne, il rédige un ouvrage sur l’artiste qu’il divise en deux parties : Ce que je sais et ai vu de lui et Ce qu’il m’a dit . L’auteur y rapporte les conversations qu’il a eu avec Paul Cézanne notamment celle au sujet de Gustave Courbet dont nous reproduisons des extraits ci-après :
Joachim Gasquet – Et Courbet ? demande Joachim Gasquet à Cézanne lors d’une visite au Louvre. Ce dernier lui répond :
Paul Cézanne – C’est un bâtisseur. Un rude gâcheur de plâtre. Un broyeur de tons. Il maçonnait comme un romain. Et lui aussi, un vrai peintre. Il n’y en a pas d’autres en ce siècle qui le dégotte. Et il a beau se retrousser ses manches, se coller le feutre sur l’oreille, déboulonner la Colônne, sa facture est d’un classique ! sous ses grands airs fendants…. Il est profond, serein, velouté. Il y a de lui des nus dorés, dorés comme une moisson, dont je raffole. Sa palette sent le blé… Oui, oui, Proudhon lui a tourné la tête, avec son réalisme, mais au fond, ce fameux réalisme, c’est comme le Romantisme de Delacroix, il ne le faisait, vaille que vaille, rentrer à grands coups de brosse que dans quelques toiles, ses plus tapageuses, les moins belles sûrement. Et encore, il est plus dans le sujet, son réalisme…Il voit toujours composé. Sa vision est restée celle des vieux. C’est comme le couteau, il ne s’en servait que dans le paysage. C’est un raffiné, un fignoleur. Vous savez le mot de Decamps. Courbet est un malin. Il fait de la peinture grossière, mais il met le fin par-dessus. Et moi, je dis que c’est sa force, le génie qu’il mettait par-dessous…. SaVanneuse du Musée de Nantes, d’un blond si touffu, avec le grand drap roussâtre, la poussière du blé, le chignon tordu vers la nuque comme les plus beaux Véronèse…On peut la coller à côté de Velázquez, elle tiendra, je vous en donne ma parole.
Joachim Gasquet – Oui, je m’en souviens. Courbet est le grand peintre du peuple.
Paul Cézanne – Et de la nature. Son grand apport, c’est l’entrée lyrique de la nature, de l’odeur des feuilles mouillées, des parois moussues de la forêt, dans la peinture du XIXième siècle, le murmure des pluies, l’ombre des bois, la marche du soleil sous les arbres. La mer. Et la neige, il a peint la neige comme personne !….
Les grandes vagues, celle de Berlin, prodigieuse, une des trouvailles du siècle…sa marée qui vient du fond des âges, tout son ciel loqueteux et son âpreté livide. On la reçoit en pleine poitrine. On recule. Toute la selle sent bon l’embrun… Ecoutez un peu, c’est une infamie que cette toile ne soit pas ici (Demoiselles de bords de Seine), et que L’Enterrement soit sacrifié, enterré dans cet espèce de couloir, là-bas…On ne peut pas le voir…Gasquet, Gasquet….Il n’y a que Courbet qui sache plaquer un noir, sans trouer la toile….Qui est-ce qui comprend Courbet ?…On le fout en prison dans cette cave…Je proteste. J’irai trouver les journaux, Vallès…Nous avons en France une machine pareille et nous la cachons… Qu’on foute le feu au Louvre, alors, tout de suite, si on a peur de ce qui est beau…
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