Découvrez une œuvre au cœur de l’exposition temporaire du musée départemental Gustave Courbet.
Plongez au cœur l’exposition « Devenir Courbet » – fruit d’un partenariat entre l’Institut Gustave Courbet et le musée départemental Gustave Courbet, fruit de nombreuses recherches de la Commission scientifique de l’Institut Gustave Courbet – en explorant les secrets d’une œuvre emblématique qui y est présentée :
Gustave Courbet, Le portrait de Paul Ansout
c.1842-1843, huile sur toile, 81 x 65,2,
Dieppe, Château de Dieppe
Par Chantal Humbert, docteur en histoire et histoire de l’art, membre de la Commission scientifique de l’Institut Gustave Courbet.
Le texte ci-après « ANSOUT CRÉATEUR D’UN PREMIER CERCLE D’AMATEURS AUTOUR DE COURBET » est rédigé suite et à partir d’un essai publié en 2019 dans le Bulletin de l’Institut Gustave Courbet, n°117, datant de l’année 2019, « Gustave Courbet père et grand -père à Dieppe, pages 6 à 23.
Bulletin n°119 à télécharger gratuitement :
ANSOUT CRÉATEUR D’UN PREMIER CERCLE D’AMATEURS AUTOUR DE COURBET
Gustave Courbet venu à Paris à l’automne 1839 rencontre Paul Ansout (1820 -1894) un jeune Dieppois de quelques mois son cadet.
L’artiste l’a dessiné et peint au moins deux fois d’après Hélène Toussaint et Pierre Bazin (1). Il le représente d’abord dans un carnet de croquis (Musée du Louvre, référencé 29234, folios 2 et 22 recto). Le portrait dessiné porte la mention « Paul Ansout, étudiant en Droit » et précède diverses études faites lors d’un voyage au printemps 1841 en Normandie (2).
Courbet dessine encore le visage d’Ansout en esquisse préparatoire à son portrait qu’il peint en 1844 (3), présenté dans l’exposition « Devenir Courbet ». A Dieppe, Paul Ansout invitera parents et amis quai Henri IV, puis rue des Fontaines où il leur fera admirer sa magnifique effigie romantique. Courbet en a peint d’ailleurs une copie probablement sur demande familiale malheureusement détruite en 1940 pendant le gigantesque incendie de Caudebec – en – Caux.
Paul Ansout n’ayant pas d’héritiers directs légua son portrait au musée de Dieppe où il est entré en 1910 dans les collections. A mi – corps, assis de trois quart et le visage bien pensif, il prend une pose bien étudiée. Le but de Courbet est alors de trouver dans ses portraits la forme qui traduit le mieux l’état d’esprit du modèle. Jacques Guillonet rapporte l’anecdote suivante : voulant doter son camarade d’une prestance élégante, Courbet lui aurait prêté un pantalon clair, à larges carreaux, celui qu’il porte dans l’Autoportrait au chien noir, admis au Salon de 1844 (Petit Palais, Paris), présenté également dans l’exposition « Devenir Courbet ».
Le coude de Paul Ansout s’appuie sur une table où sont posés « Paroles d’un Croyant » de Lamennais et une lettre qu’il adresse « A sa chère mère … ». Ansout neveu du sculpteur ivoirier Belleteste (1787-1832) est le fils de Germain Frédéric Ansout (1783-1860), marchand drapier et administrateur de la caisse d’Epargne de Dieppe. Cette sous – préfecture de Seine Inférieure et ses environs s’animent d’établissements de tissage réputés pratiquant d’actifs échanges européens. Sa mère née Marie Françoise Désirée Damiens (1788-1869) appartient aussi à une famille de négociants drapiers aisés originaires de Saint – Valéry-sur-Somme. Une des tantes maternelles de Paul Ansout, Adèle Gabrielle Damiens (1799-1859), avait épousé en 1833, à Gand, importante ville drapière flamande, le baron Louis Papeians de Morchoven dit Van Strepen (1801-1863) lieutenant – colonel dans la cavalerie belge (3).
Par l’intermédiaire de sa mère, Paul Ansout introduit donc Gustave Courbet auprès de ce couple gantois bien implanté dans les cercles industriels et aristocratiques belges. En août 1846, le peintre séjourne effectivement plusieurs jours à Gand chez les Papeians de Morchoven. L’artiste enchanté de l’«accueil », de la « compagnie si joyeuse », découvre les musées locaux. Courbet est à nouveau l’année suivante l’hôte des parents de Paul Ansout. Dans ce « pays de Cocagne », il réalise plusieurs portraits, voit « beaucoup de tableaux de grands maîtres hollandais … très utiles à mon instruction ».
Ces premiers voyages le marquent profondément comme il le confie en 1850 à Edouard Reynart, conservateur du musée de Lille : « Toutes mes sympathies sont pour les pays du Nord. Parcouru deux fois la Belgique, une fois la Hollande … J’espère y retourner » (4).
Bien que Paul Ansout soit probablement fils unique, il ne reprendra pas l’entreprise drapière familiale pour mener une carrière administrative et dirigera le bureau de l’état civil à la mairie de Dieppe. Les Ansout sont alliés aux Blavet (5), aux Degrège, également drapiers et aux Legros, fabricants de rouenneries-des toiles de coton peintes- et de produits céramiques, dont le plus renommé est Alexandre Legros, président du tribunal de commerce et maire de Dieppe.
Grâce à sa parentèle normande et belge, Paul Ansout se révèle ainsi le premier instigateur d’un foyer d’amateurs fortunés qui vont s’intéresser à l’art de Courbet. Lui passant des commandes, ils vont le faire connaître et lui apporter du succès.
Paul Ansout occupa encore une place bien particulière auprès de l’homme privé, car il veilla sur Emile le fils qu’en septembre 1847a eu Gustave Courbet avec une jeune Dieppoise, Virginie Binet.
Chantal Humbert
(1) Gustave Courbet (1819-1877), exposition Grand Palais, 1977- 1978, page 80. Carnet de croquis, RF 292234, folios 2 et 22 recto. Jacques Guillonet, Le Portrait de Paul Ansout au musée de Dieppe in « Bulletin de l’association des Amis de Gustave Courbet », 1950, n°8, pages 9 à 11.
(2) Michèle Haddad, « Courbet », Editions Jean-Paul Gisserot, 2002. Claudette Mainzer, « Courbet, le voyage en Normandie un cahier de croquis », pages 204 à 215, in « Courbet et le réel », Ligeia, 2002.
(3) A. D. Seine maritime, état civil Dieppe. 4 E 04913 1835, 4 E 04910 1834, 4 E 11629 1894, 4 E 04988 1860, 4 E 04924 1839, 4 E 116 23 1892, 4 E 04913 1835, 4 E 11623 1892. A.D. Somme, état civil Saint – Valéry- sur- Somme, D 1160, 1819.
(4) Petra Ten-Doesschate Chu, Correspondance de Courbet, Paris, 1996.
(5) En 1845 Courbet réalise le portrait du Jeune Paul Blavet, fils d’un agent de change de Marseille, entré dans les collections Paul Bénazet, puis David-Weill. Robert Fernier, La vie et l’œuvre de Gustave Courbet, catalogue raisonné, tome I, n° 63.