L’anti-origine du monde / Comment Whistler a tué Courbet ?
Une étude artistique, historique et psychanalytique des relations entre Gustave Courbet et James Whistler à partir d’une relecture des mythes fondateurs autour de L’Origine du monde…
Les noms de Courbet et de Whistler sont étroitement liés. De leur vivant, ils furent confrères, proches et amis. À l’automne 1865, lors d’un séjour sur la côte normande considéré comme l’acmé de leur connivence, Courbet appelle Whistler « mon élève », terme qu’il n’a utilisé en aucune autre circonstance pour aucun autre peintre. Durant la même villégiature, Whistler, de quinze ans le cadet du maître alors au faîte de sa notoriété, réalise un portrait de son aîné sur la plage qui pastiche l’une des anciennes compositions de Courbet et illustre le dialogue étroit que les deux peintres entretinrent. Plus tard, Whistler appellerait cette toile dans l’intimité : « mon Courbet ». Le possessif dans la bouche de chacun parlant de l’autre en atteste : Whistler eut son Courbet comme Courbet eut son Whistler. Mais si Courbet et Whistler furent étroitement liés de leur vivant par leur art, leurs affinités et leurs cercles communs, leurs noms le sont plus encore aujourd’hui – et pour un tout autre motif. Cent trente-huit ans après la mort du plus vieux et cent douze ans après celle du plus jeune, les deux hommes ont à présent pour plus petit dénominateur commun le plus célèbre et le plus scandaleux nu de l’histoire de la peinture. Chacun pourra le vérifier sur le premier ordinateur venu : en accolant, selon le procédé dit de googuelisation, les deux mots COURBET WHISTLER, L’Origine du monde s’affiche aux premières occurrences de la première page du moteur de recherche. Que celle-ci soit réalisée en anglais ou en français : Whistler Courbet = L’Origine du monde.
Le présent ouvrage se propose de rencontrer au plus près le Courbet de Whistler et le Whistler de Courbet et de comprendre comment l’intersection de leurs deux noms aboutit en 2016, pour des centaines de millions d’internautes, à ce sexe de femme anonyme, une image de 1866 encore considérée, sur le web, de nos jours, comme pornographique. Où l’on verra qu’une toile du XIXe siècle en dit long sur la toile du XXIe. Où l’on verra aussi comment la relation de deux artistes qu’une génération sépare a été dévoyée par plus d’un siècle d’histoires et d’histoire de l’art en une vulgaire affaire de mœurs œdipienne. Deux hommes autour d’une même femme : une épineuse affaire sexuelle qui mérite relecture.
Yves Sarfati est professeur de psychiatrie, psychanalyste. Chercheur-clinicien, il débute ses travaux scientifiques à l’INSERM sur la communication neuronale et la théorie de l’esprit. Depuis dix ans, il oriente ses recherches sur l’articulation de l’histoire de l’art, de la psychanalyse et des neurosciences. Il a ainsi dirigé les Transferts de Courbet (Les presses du réel, 2013).